Ce que j’aime dans mon métier, c’est rencontrer les gens.
Vraiment bizarre cette tournée ce matin. Je suis parti de bonne heure comme tous les jours. Mon courrier est trié dans l’ordre des lieux-dits que je vais parcourir. La radio rythme mes arrêts entre les chansons et les infos.
Ce que j’aime dans mon métier, c’est rencontrer les gens. Parfois, le sourire d’une femme qui reçoit une lettre de son amoureux ou d’un enfant qui reçoit un colis de ses grands-parents pour son anniversaire arrive encore à m’émouvoir. Des faire-part de naissance, de mariage, des cartes d’anniversaire, des messages emplis de joie et de rires qu’il m’est agréable à distribuer. D’autres jours, ce sont des factures, des relances, des déclarations d’impôts, des faire-part de décès. Ces missives déclenchent des moues de dégoût, des soupirs, des gestes d’impuissance ou d’écœurement. Quoique, parfois, l’humour soit aussi au rendez-vous.
Certains me lancent : « Des affaires ainsi, tu peux les jeter à la Vézère la prochaine fois ! ».
Ou bien encore : « Je n’habite plus ici ! ».
Alors nous rions ensemble ! Mais aujourd’hui, c’est différent !
« Les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent… Elle me dit qu’elle voudrait déjeuner en paix ! ».
La chanson est de circonstance.
Les visages sont fermés, inquiets. Toutes les conversations tournent autour de ce fameux virus venu de Chine.
« Il nous fallait encore bien ça, facteur ! ».
« Vous croyez que ça va être grave ? ».
« On va devoir rester chez soi, vous allez voir ils vont nous confiner comme les oies ».
« Comment qu’on va faire ? Vous allez encore travailler facteur, pour le journal hein facteur ? ».
Je ne sais pas quoi leur répondre. Toutes leurs questions, toutes leurs réflexions, je les ai dans ma tête.
Toutes ces angoisses, elles me serrent la gorge aussi… Pourtant, j’essaie de rassurer mes « clients », de dire un mot gentil par-ci, par-là. Moi non plus, je ne sais pas si je continuerai ma tournée. Tous ces gens, beaucoup de personnes âgées, que je côtoie, qui me parlent, qui s’avancent pour me serrer la main… je suis parfois la seule personne avec qui ils parleront sur toute la journée. Je prends des risques pour moi, mais aussi pour eux. Je touche toutes ces lettres qui ont transité par combien de mains… je préfère ne pas y penser, ça me donne le tournis. Et puis, si tout le monde se méfie de tout le monde, comment va-t-on faire !
L’administration n’a encore donné aucune consigne. Attendons ! En attendant travaillons !
Régine Michaux