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Charlotte, le jour d’après

Demain, je regarderai les informations, je redescendrai sur terre.

Elle se tient près de la fenêtre, face à l’océan de verdure baigné de soleil. Il dort encore. Elle s’est levée et a préparé le café dans la cuisine qu’elle a réorganisée. Sur la table fleurie de primevères cueillies sur un talus, elle a disposé le couvert, la confiture, le pain qu’elle a fait hier soir. Elle a suivi la recette sur un tuto. Il manque un morceau à la miche. Ils n’ont pas résisté à la bonne odeur quand il est sorti du four tout croustillant. Le chien a levé le museau vers elle quand elle s’est mise à parler.

— Maman ? oui, je suis bien arrivée et je vais bien. Je sais, j’aurai dû t’appeler depuis quelques jours. Je suis bien installée et Victor est adorable. Raconte-moi, toi »

Dans un soupir. Le temps paraît bien long. Personne ne sort dans le quartier. Le silence est assourdissant. Seuls les oiseaux s’amusent on dirait. Je n’imaginais pas qu’il y en avait autant. Le ciel est tout gris, ici, comme un jour qui ne se lève pas. Je vais devoir fermer, seuls les commerces de première nécessité resteront ouverts. J’ai coiffé mes dernières clientes. C’est la vie que veux-tu ! Heureusement, j’ai quelques économies d’avance. Ne t’inquiète pas ça va aller.

— Je sais que tu es forte, parfois trop même. Comme je te connais, tu vas entreprendre le grand nettoyage… repose-toi hein ! Ça va être bizarre, toutes tes clientes avec une tête de « ouf » ! Tu vas en avoir du travail quand tout cela sera fini. Elles rient toutes les deux de bon cœur. 

— Oui ! Je vais mettre ce temps à profit pour ranger le garage, la remise, enfin ce que je reporte toujours par manque de temps et d’envie. Je ne vais pas pouvoir passer mon temps à faire des mots croisés et des sudokus ; puis, j’appellerai mes fidèles clientes plus âgées. Peut-être auront-elles besoin de service ? Je vais trouver. Tu m’enverras des photos ? J’ai trop envie de connaître ta vie là-bas et de voir enfin sa tête. C’est difficile pour moi, c’est un peu une extraterrestre l’homme qui vit avec ma fille.

— Oui, promis, bisous et prend bien soin de toi ».

Elle raccroche le cœur un peu lourd mais déjà des pas dans l’escalier la ramènent à la vie d’ici. Ses cheveux sont tout ébouriffés et sa barbe naissante lui donne un air sauvage qui l’émeut. Il l’enlace et l’embrasse dans le cou.:

Mimant de la dévorer : Je meurs de faim, je vais dévorer ton pain.

Il se verse du café, beurre sa tartine. Il lève ses yeux bleus profonds et perçants sur elle.

— Ma petite fée du logis. Je suis tellement heureux que tu sois là. Depuis que tu es arrivée, la maison respire la vie. 

Elle lui sourit, son cœur pétillant d’amour.

Est-il possible que le monde se soit arrêté de tourner ? Que des gens soient affolés, attristés, malades, apeurés et que des gens meurent en cette seconde qui coule comme le parfum délicat de premier matin du monde ? Cet instant délicieux, si simple de banalité, débordant de tendresse, ce moment de légèreté a-t-il le droit d’exister dans le vacarme d’un temps trop lourd de gravité ?

Demain, je regarderai les informations, je redescendrai sur terre. Demain. Et aussi, j’enverrai des photos. Aujourd’hui, ma vie est ici.

Régine Michaux