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Augustine, la résidente en Ehpad

Tu me porteras des biscuits et de la confiture quand tu viendras ? Et aussi des pruneaux !

Confinée depuis plus de quinze jours dans son EHPAD, Augustine, quatre-vingt-treize ans, assise dans son fauteuil, regarde d’un œil à moitié endormi son poste de télévision, lorsque retentit la sonnerie de son portable, posé à côté d’elle sur son lit. Fébrile, elle l’attrape de ses doigts peu habiles et tente désespérément de l’ouvrir. Avant qu’elle ait pu y parvenir, la sonnerie s’est arrêtée.  Zut, encore une fois, elle n’avait pas saisi l’appareil du bon côté ! Ah, ces engins, si elle pouvait jeter celui-là par la fenêtre ! Ah, ça sonne à nouveau ! Cette fois, elle se dépêche de répondre :

  • « Allo, ah ! C’est toi Odile ! Bonjour ma fille !
  • Bonjour Maman, comment vas-tu aujourd’hui ?
  • Bof !… Dis-moi, tu viens me voir ce soir ?
  • Mais non voyons, Maman, tu sais bien que je ne peux pas venir ! C’est interdit, personne ne peut entrer à l’EHPAD ! Tout est fermé, tout est bloqué partout…
  • Alors, tu vas bientôt m’amener à ta maison ?
  • Non, Maman, je ne peux pas, tu ne peux pas sortir non plus, tu le sais bien…
  • Mais pourquoi ?… Alors, je ne peux pas te voir ?
  • Non, tu le sais bien, je te l’ai déjà expliqué, le personnel aussi te l’a dit, il faut attendre la fin de l’épidémie. Quand tout ira mieux, on pourra se revoir…
  • Ah oui, demain ?
  • Oh non, demain ce ne sera pas terminé, il va falloir attendre longtemps encore. Tu as dû entendre le président hier soir à la télé…
  • Non, je n’ai pas vu le président, c’était juste un journaliste. Ils parlent toujours du virus…
  • Oui, justement, tant que le virus est là, tout est paralysé. Il faut attendre qu’il ne se propage plus…
  • Oui, une des dames m’a dit que c’était comme il y a cent ans, du temps de la grippe espagnole. Tu sais, je n’étais pas née, mais ma belle-mère m’a raconté souvent que ça avait été terrible ! Chez elle, sa mère était morte, son grand-père, sa grand-mère et son frère aussi. Elle avait soigné tout le monde pendant des jours… Elle disait aussi qu’elle en avait réchappé en buvant matin et soir un verre de gnole, d’aiga de vita ! D’ailleurs, ils en mettaient partout, de l’eau-de-vie… Mais ici, à la Maison de Retraite, on ne nous en donne pas…
  • Ah non, Maman ! Ce n’est pas possible… Alors, qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? 
  • Euh, j’ai dormi, j’ai regardé la télé… Mais tu vas venir bientôt me voir ? Parce que, si tu ne viens pas bientôt, après ça sera trop tard, je serai morte ! D’ailleurs, je n’ai pas faim du tout, du tout.
  • Allons, ne dis pas ça… Qu’est-ce que tu as mangé à midi ?
  • Un peu de purée et un yaourt, mais je n’ai pas faim, je te dis ! Tu me porteras des biscuits et de la confiture quand tu viendras ? Et aussi des pruneaux !… Et du chocolat au lait !… Et des madeleines ! … Et des gaufrettes !
  • Oui, Maman, j’ai bien noté, tu me l’as déjà dit ! Mais pas tout de suite !
  • Si, tout de suite ! Tu dois te montrer obéissante !
  • Allons, je n’ai plus six ans et toi, tu en as…
  • Oui, je sais que je suis vieille, mais ce n’est pas une raison pour me laisser là, toute seule.
  • Mais tu n’es pas toute seule, tu as beaucoup de monde autour de toi, pour t’aider…
  • Oui, mais c’est toi que je veux à côté de moi !
  • Ça, ce n’est pas possible pour le moment, mais bientôt … Ah, j’entends que quelqu’un entre dans ta chambre ! A demain, dors bien ! »

Marie-Thérèse Laborde