« Chers compatriotes, nous sommes en guerre »…
Charlotte, l’amoureuse qui change de pays :
Le jour se lève tout gris sur le Nord. Le ciel est bas. Du fond de son lit, elle voit le jardin encore tout ensommeillé d’hiver. Elle a pris sa décision hier soir. Elle a tout préparé pour son départ. Sa mère s’est un peu étonnée de son empressement à faire des courses pour un siège de trois semaines. Elle ne sait pas encore vraiment… Enfin, elle se doute. Depuis le mois d’août, elle a rencontré un homme. D’amourette de vacances sans lendemain, ils ont continué à se parler par internet, par téléphone. Leur amitié a grandi jusqu’à penser se revoir aux prochains congés. Petit à petit, ce sentiment de ressemblance, cette infinie impression de se connaître depuis toujours, d’oublier comment c’était avant… appelez ça comme vous voulez… elle croit que c’est de l’amour. Et elle va partir !
Au loin, là-bas dans la cuisine, la vieille radio sur le frigo égrène son chapelet de nouvelles. L’Italie confinée, la France qui se prépare, La Chine qui continue de lutter. Alors qu’elle entre dans la salle de bain, elle entend sa mère bougonner que ces informations de noirs corbeaux sont assommantes, qu’ils vont affoler tout le monde. Elle sourit devant le miroir. Elle sait que dans quelques minutes, il faudra lui dire vraiment ! Quelle sera sa réaction ? Elle a prévu dans sa tête un tas d’arguments… Elle sait qu’elle ne la comprendra pas trop même si au fond elle lui dira qu’elle a raison… « Que la misère est moins dure au soleil ! », c’est Aznavour qui passe à la radio… Un signe ?
Elle s’habille rapidement, une queue de cheval et hop. Affronter la cuisine, la bonne odeur du café et l’annonce faite à Josiane ! Elle est là, elle lui tourne le dos face à la fenêtre mais elle aperçoit son reflet…
— « Maman, il faut que je te dise…
— Ne te fatigue pas ma fille ! J’ai compris, tu vas le retrouver ? Je m’y attendais… peut-être pas là aujourd’hui, mais je savais que cela arriverait un jour. Tu es sûre de toi ? Tu t’en vas là-bas au loin, sans le connaître plus que ça…
— Je sais maman, mais je le sens comme cela. Tu ne m’en veux pas trop ? Il faut que je parte aujourd’hui. Je ne suis pas certaine que les frontières soient encore ouvertes dans les jours qui viennent… ça va aller toi ? Tu sais, j’ai fait des provisions, tu peux rester ici une vingtaine de jours sans devoir sortir pour les courses. J’ai appelé ma famille d’accueil de Bergame. Ils m’ont expliqué, j’ai suivi leurs conseils. La situation est grave chez eux. Faut s’y attendre ici aussi…
Tu as de la viande au congélateur, des légumes frais, des conserves, des pâtes, du riz, des pommes de terre… du papier toilette ! C’est drôle mais il paraît que les gens se ruent là-dessus. Du café, du savon…
— Arrête, je sais que tu as tout prévu pour moi et puis mes parents ont connu la guerre tu sais ! j’ai vécu toute petite avec un tas de provisions pour le jour où ça reviendrait… je me suis toujours moquée de ma mère et de mes grandes sœurs qui continuaient à vivre dans cette hantise ! Elles avaient raison quelque part… le monde est fou ! Allez, ma fille ! Mangeons, puis tu partiras. Tu as de la route ! »
Elle ne dit rien, sourit, mais elle comme moi, nous avons le cœur serré. L’angoisse que peut-être nous nous voyons pour la dernière fois me vrille le ventre. Je ne suis pas certaine de faire le bon choix mais c’est celui qui me saute au cœur ! Les oiseaux doivent un jour quitter le nid protecteur mais c’est dans l’urgence, là tout de suite, dans des circonstances inédites. Bon ben voilà, ça fera partie de mon histoire et de la sienne. Si d’aventure nous arrivons, un jour, à la raconter à nos petits enfants !
Régine Michaux